
Après le prononcé du jugement du tribunal correctionnel de Paris contre Nicolas Sarkozy, condamné lourdement pour association de malfaiteur, et avant même d’avoir analysé le détail du jugement, des attaques contre la justice par Nicolas Sarkozy et ses soutiens allant du Rassemblement national jusqu’à de nombreux macronistes ont mis à mal notre Etat de droit.
Or les magistrats ne peuvent pas se défendre car ils sont liés par le droit de réserve. Par contre des avocats portent plainte contre Nicolas Sarkozy suite à ses déclarations mettant en cause l’Etat de droit.
Heureusement le nouveau président du tribunal judiciaire de Paris, Monsieur GHALEH-MARZBAN, a profité de son discours du 29 septembre 2025, devant le ministre de la justice, pour rappeler les fondamentaux de notre Etat de droit.
Voici la première partie de son discours qui traite du respect de l’Etat de droit :
« L’audience de présentation d’un nouveau président constitue ce moment solennel durant lequel les principes d’action du nouveau chef de juridiction sont exposés, où la feuille de route est présentée, publiquement, aux personnalités, à la presse, parce que la Justice est rendue au nom du peuple français.
Pourtant, aujourd’hui, et parce que des nuages noirs s’amoncellent au-dessus de notre institution et de notre Etat de droit, l’urgence commande que je m’entretienne avec vous de la situation actuelle :
« Monsieur le ministre, je crois devoir vous faire part de mes préoccupations : je les tiens pour graves et profondes.
Depuis un certain temps, l’action des juges, à l’occasion de procédures particulières, donne lieu à des débordements, par le verbe et par l’écrit, que je tiens pour excessifs et même chargés de périls pour l’institution judiciaire. »
Ces mots, Mesdames et messieurs, ne sont pas les miens, ils sont de Pierre Drai s’adressant en 1992 au garde des Sceaux.
En 33 ans, la situation a empiré, alors même que l’Etat de droit est aujourd’hui attaqué de toutes parts, dans un contexte d’accroissement inquiétant des populismes. Oui, il y a un péril certain, pendant que de manière invraisemblable, des magistrats sont menacés, parce qu’ils n’auraient commis qu’une seule faute : celle d’appliquer la règle de droit et d’avoir rempli leur office.
Et si l’on peut comprendre l’expression de l’émotion d’un homme, dans son humanité profonde et respectable, confronté à une condamnation sévère, -ne dit-on pas que « l’on n’a que 24 heures au Palais, pour maudire son juge », nulle part il n’est écrit que le juge peut être injurié, attaqué, menacé.
Or, tant, à l’occasion d’un jugement rendu en mars 2025 que d’un jugement rendu ces jours derniers, ont été fustigés tantôt une « justice politique », tantôt un « coup d’Etat judiciaire », tantôt une « honte pour la justice », d’aucun allant jusqu’à prétendre que des magistrats disposeraient d’un « tableau de chasse ».
Or, faut-il rappeler que les procédures judiciaires dont il est question ont été conduites à l’occasion d’audiences publiques, où chacun a pu constater le soin apporté à la qualité des débats, ou chacun a pu s’exprimer et poser des questions ?
Que de surcroît, les décisions motivées ont été rendues publiquement, après avoir été délibérées au sein d’une collégialité, avec un souci pédagogique tout particulier qu’il faut souligner. S’il est loisible, au titre de la liberté d’expression, de critiquer une décision, de s’interroger sur une motivation, de questionner une peine ou l’application d’un dispositif prévu par le code de procédure pénale et voté par le Parlement, le discrédit jeté sur l’institution judiciaire est inacceptable dans une société démocratique, notamment lorsqu’il émane de personnalités dont la voix porte. Il est en de même de la remise en cause a posteriori de l’impartialité des juges visant à jeter le discrédit sur la décision rendue.
Plus grave encore et intolérable, est de critiquer la décision de Justice en s’en prenant aux juges, par des menaces et des attaques personnelles.
Dans un Etat de droit, la seule voie possible pour critiquer une décision de justice est l’exercice de la voie d’appel.
Je veux apporter mon plein et entier soutien aux magistrats de la 32ème Chambre ainsi attaqués et menacés tant à l’occasion de la décision rendue ces jours derniers qu’au mois de mars 2025 et dire publiquement ma réprobation.
Il ne s’agit pas d’une question de confort des juges, mais d’un enjeu démocratique. Ces attaques sapent les bases de notre Etat de droit et les fondements de notre démocratie. Pour reprendre les mots de Balzac : » Se méfier de la magistrature et mépriser les juges, c’est un commencement de dissolution sociale. »
Comment en sommes-nous arrivés là ? Que s’est-il passé ? Face à ces attaques répétées, dont rien ne dit qu’elles cesseront, les digues pourraient céder, et ce n’est pas l’institution judiciaire qui serait submergée mais l’Etat de droit en son entier.
C’est pourquoi, il importe que, collectivement, toutes les voix s’élèvent. Celle du cœur de l’institution judiciaire tout d’abord, et je remercie le Conseil supérieur de la magistrature, les chefs de la Cour de cassation et M. le Premier président de la Cour d’appel de Paris de leurs prises de parole et communiqués.
Mais l’impact est plus fort encore lorsque les voix se font entendre au plus haut niveau de l’Etat et l’institution judiciaire a également besoin de ces prises de position du pouvoir exécutif.
Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d’avoir condamné avec fermeté les intimidations et menaces de morts dont notre collègue a fait l’objet. L’intervention du chef de l’Etat qui a rappelé hier soir les piliers essentiels de l’Etat de droit a été la bienvenue.
Nous avons en effet besoin de ces prises de position claires et fermes, au risque sinon de laisser penser que les réactions, issues de la seule institution judiciaire ou des organisations professionnelles, seraient nourries par le corporatisme.
Ces rappels sont d’autant plus importants alors que, sur d’autres sujets, des voix autorisées viennent expliquer que l’Etat de droit serait un obstacle à l’action publique, un empêcheur d’agir et que le démanteler permettrait de se libérer des contraintes pour retrouver une efficacité de l’action de l’Etat.
Mais que resterait-il alors de cet Etat ? Ce risque est d’autant plus pernicieux que le juge est souvent pris dans des injonctions contradictoires. Laxiste un jour, responsable de la surpopulation carcérale un autre jour, le juge est balloté selon les circonstances et les appréciations politiques.
Laissons le juge faire son travail, appliquer la loi votée par le Parlement, en appréciant chaque affaire selon les faits de l’espèce et la personnalité des prévenus. »